I
Isidor Gunsberg
Guest
A somewhat bizarre "Point of View" article that appeared in Le Monde
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-
353719,0.html?query=pantani&query2=&booleen=et&num_page=1&auteur=&dans=dansarticle&periode=30&ordre-
=pertinence&G_NBARCHIVES=810245&nbpages=1&artparpage=10&nb_art=6
POINT DE VUE
LE MONDE | 20.02.04
L'efficacité et la sélection de ce néo-corps sont artificiellement programmées par la logique de
consommation. Qu'éclate la surprise du monde du cyclisme international à l'annonce de la mort du
champion italien Marco Pantani, sans que soit relevé son refuge dans un lieu anonyme au doux nom de
fleur, le jour de la fête des amoureux, la Saint-Valentin, passe !
Que l'on étale au grand jour ses efforts et sacrifices, si intenses jusqu'à devenir illégaux, pour
satisfaire à la démesure des exigences consuméristes du star-system, passe encore !
Que l'on cherche à se donner bonne conscience en entretenant la confusion entre le champion, l'idole
et le héros, cela suffit !
Sacrer héros un tricheur, idolâtrer une figure high-tech, c'est trop malmener la dignité humaine !
Quelle misère de notre culture postmoderne !
Parce que, et quoi qu'on en dise, un champion sportif est fondamentalement incarné. Son exception
réside dans son acceptation de privilégier à toute autre manifestation du vivant - et cela tant que
dure sa carrière - le développement jusqu'au point de rupture de ses compétences psychomotrices
corporelles.
Il est prêt à tout donner pour qu'elles le transforment en néo-corps performant.
Organisé par une musculature et un appareil locomoteur en permanent remaniement, ce néo-corps est
autant le produit de la volonté personnelle, tant du fait de la régularité, voire de la précocité,
d'entraînements programmés intensifs, que des actions de l'assistance technologique et scientifique
dont il est l'objet.
Pour ces raisons, il est essentiellement assisté d'un staff technique et scientifique dont
l'entraîneur est un interlocuteur privilégié : cette équipe a la responsabilité magistrale de régler
et de garantir pour son poulain la santé de sa progression vers l'extrême.
Globalement impliqué dans ce processus hors limite, le champion ne peut être apte à en apprécier les
débordements... et cela d'autant qu'il pratique une discipline sportive où l'adversaire est
physiquement absent, telle la course contre la montre.
L'efficacité et la sélection de ce néo-corps sont artificiellement programmées par la logique de
consommation : le spectacle sportif est l'un des principaux moteurs de l'économie de la modernité.
Ce produit prévu, commandé, est intrinsèquement la cause, le produit et l'instrument de la
performance sportive.
Individu souverain, le champion s'auto-engendre ; pour exister,
corps humain bandé par l'effort, par sa qualité virile, renvoie au masculin.
Et c'est là que le bât blesse ! Le risque d'une adaptation excessive au très haut niveau sportif est
que cet extrême affûtage du masculin se construise petit à petit au détriment d'un féminin occulté
ou, pis, dénié.
Comme la dépendance aux médicaments, que l'on retrouve très fréquemment dans les tentatives de
suicide des femmes. Comme sa négligence de la place de l'intime, valeur féminine laissée pour compte
par l'exhibitionnisme forcé de son côté star de la téléréalité.
Comme son plaisir à être, dans une relation d'amour gratuite, rabroué par la toute-puissance
envahissante de son image, objet d'amitiés utiles toujours bonnes pour des contacts rentables
aux autres.
Comme sa mort, cœur desséché de solitude, dévoré par son image, en martyr de son féminin.
Effigie d'un mode d'être au monde, la personne du champion ne doit pas devenir une nouvelle figure
de maltraitance de la condition humaine ou, pis, une nouvelle victime d'un crime contre l'humanité.
Claire Carrier est psychiatre, psychanalyste et médecin du sport. Elle a publié Champion, sa vie, sa
mort : psychanalyse de l'exploit (éditions Bayard, 2002).
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.02.04
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-
353719,0.html?query=pantani&query2=&booleen=et&num_page=1&auteur=&dans=dansarticle&periode=30&ordre-
=pertinence&G_NBARCHIVES=810245&nbpages=1&artparpage=10&nb_art=6
POINT DE VUE
LE MONDE | 20.02.04
L'efficacité et la sélection de ce néo-corps sont artificiellement programmées par la logique de
consommation. Qu'éclate la surprise du monde du cyclisme international à l'annonce de la mort du
champion italien Marco Pantani, sans que soit relevé son refuge dans un lieu anonyme au doux nom de
fleur, le jour de la fête des amoureux, la Saint-Valentin, passe !
Que l'on étale au grand jour ses efforts et sacrifices, si intenses jusqu'à devenir illégaux, pour
satisfaire à la démesure des exigences consuméristes du star-system, passe encore !
Que l'on cherche à se donner bonne conscience en entretenant la confusion entre le champion, l'idole
et le héros, cela suffit !
Sacrer héros un tricheur, idolâtrer une figure high-tech, c'est trop malmener la dignité humaine !
Quelle misère de notre culture postmoderne !
Parce que, et quoi qu'on en dise, un champion sportif est fondamentalement incarné. Son exception
réside dans son acceptation de privilégier à toute autre manifestation du vivant - et cela tant que
dure sa carrière - le développement jusqu'au point de rupture de ses compétences psychomotrices
corporelles.
Il est prêt à tout donner pour qu'elles le transforment en néo-corps performant.
Organisé par une musculature et un appareil locomoteur en permanent remaniement, ce néo-corps est
autant le produit de la volonté personnelle, tant du fait de la régularité, voire de la précocité,
d'entraînements programmés intensifs, que des actions de l'assistance technologique et scientifique
dont il est l'objet.
Pour ces raisons, il est essentiellement assisté d'un staff technique et scientifique dont
l'entraîneur est un interlocuteur privilégié : cette équipe a la responsabilité magistrale de régler
et de garantir pour son poulain la santé de sa progression vers l'extrême.
Globalement impliqué dans ce processus hors limite, le champion ne peut être apte à en apprécier les
débordements... et cela d'autant qu'il pratique une discipline sportive où l'adversaire est
physiquement absent, telle la course contre la montre.
L'efficacité et la sélection de ce néo-corps sont artificiellement programmées par la logique de
consommation : le spectacle sportif est l'un des principaux moteurs de l'économie de la modernité.
Ce produit prévu, commandé, est intrinsèquement la cause, le produit et l'instrument de la
performance sportive.
Individu souverain, le champion s'auto-engendre ; pour exister,
corps humain bandé par l'effort, par sa qualité virile, renvoie au masculin.
Et c'est là que le bât blesse ! Le risque d'une adaptation excessive au très haut niveau sportif est
que cet extrême affûtage du masculin se construise petit à petit au détriment d'un féminin occulté
ou, pis, dénié.
Comme la dépendance aux médicaments, que l'on retrouve très fréquemment dans les tentatives de
suicide des femmes. Comme sa négligence de la place de l'intime, valeur féminine laissée pour compte
par l'exhibitionnisme forcé de son côté star de la téléréalité.
Comme son plaisir à être, dans une relation d'amour gratuite, rabroué par la toute-puissance
envahissante de son image, objet d'amitiés utiles toujours bonnes pour des contacts rentables
aux autres.
Comme sa mort, cœur desséché de solitude, dévoré par son image, en martyr de son féminin.
Effigie d'un mode d'être au monde, la personne du champion ne doit pas devenir une nouvelle figure
de maltraitance de la condition humaine ou, pis, une nouvelle victime d'un crime contre l'humanité.
Claire Carrier est psychiatre, psychanalyste et médecin du sport. Elle a publié Champion, sa vie, sa
mort : psychanalyse de l'exploit (éditions Bayard, 2002).
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.02.04